La photographie de personnes ou le portrait en voyage
Aujourd'hui je décide du vous parler du droit à l'image en photo de voyage, et puis ça tombe bien puisque la photo est mon métier ! J'avoue que c'est une question qui m'a beaucoup inquiétée à mes débuts. Je me culpabilisais parfois de ramener des images de personnes et de les diffuser en espérant que mon travail plaise, en espérant me faire connaitre grâce à ces clichés, et même espérant en vendre ! Et puis... j'ai réfléchi, et aujourd'hui je suis en accord avec mon éthique (en plus de l'être avec les lois cela va de soi!)
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Le droit à l'image concernant les photos de voyage est un sujet qui semble préoccuper soudainement beaucoup de monde sur les réseaux sociaux et la façon dont cela est traité m'agace profondément. Plusieurs articles de blog circulent et dans chacun, l'auteur fait une énorme généralité et surtout la morale au vilain riche voyageur qui va photographier le pauvre Asiatique ou Africain (c'est en général les deux continents mis en avant !) sans défense. Ce sans vergogne ira même jusqu'à accrocher un de ces portraits dans son salon ou à publier son photo-reportage sur un blog! Boouuuh le malotru ! Clairement certains agissent mal, photographient à tout va et sans respect, ou vendent les droits d'images sans savoir ensuite à quoi elles seront utilisées (sujet évoqué plus bas). Mais, je pense que c'est quand même loin d'être la majorité.
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Au passage, les blogueurs ou journalistes en question, publient dans leur article, quelques images d'enfants et d'adultes... Pourtant ils dénoncent cette même pratique... en utilisant des clichés personnels ou pire, piqués sur le net dans des photothèques (faits où, quand, quoi, comment?).... Rrrmm … Cherchez l'erreur!
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J'ai vraiment l'impression que notre société va droit dans le mur en essayant en permanence de culpabiliser et d'interdire. De se masturber le cerveau aussi... Nous vivons dans un monde ou le bon sens n'a plus de place, ou le moindre acte est disséqué. Déjà, on ne peut plus plaisanter de rien, et maintenant on ne peut même plus ramener des photos de vacances avec de jolis sourires !
Une société riche avec des préoccupations de riches. Forcément, nous avons le temps de nous préoccuper de notre « moi », de notre droit à l'image. Et on considère qu'il devrait en être de même pour le monde entier ! Et si ce n'était pas le cas ?
En occident, les gens osent moins photographier leurs contemporains, tout simplement parce que la peur est là. La peur du rejet, la peur d'être attaqué, la peur de l'autre dans une société égocentrique. Pourtant, il n'en est pas forcément de même dans le monde entier...
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Face à ces articles, et encore plus face aux nombreux partages, je m'interroge...
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–Qu'en est-il du plaisir de la rencontre et du partage par le biais de la photo ?
Visiblement cela ne préoccupe pas ces donneurs de leçon, si on photographie quelqu'un c'est forcément qu'on profite de lui ! On est riche, lui pauvre. On n'a rien à faire face à lui, en gros. Sinon c'est que l'on est voyeur, c'est sûr !
Qu'est ce que c'est réducteur... Bien sûr, on peut faire de jolies rencontres sans pour autant photographier les gens, et il y a des circonstances où, évidement, il est malvenu de sortir son appareil, lorsque les gens sont dans la détresse par exemple, mais cela peut aussi être une manière d'entrer en contact avec l'autre quand on ne peut pas communiquer. J'ai souvent remarqué que le fait de proposer une photo crée un lien particulier. Je cite Sebastio Salgado : « La force du portrait c'est que, dans cette fraction de seconde on comprend un peu la vie de la personne qu'on photographie. Les yeux racontent beaucoup... Quand tu fais un portrait, ce n'est pas toi tout seul qui prend la photo ; la personne t'offre la photo ». Pour ma part, et avec des centaines de portraits réalisés en voyage, ce sont pour la plupart de grands moments d'intimité et de partage. Chacun de ces visages fait partie de mon histoire, et je pense (peut être naïvement) que je fais également partie de la leur. Il m'arrive souvent de retourner un an ou davantage plus tard, et d'offrir des tirages de mes photos, ou de montrer les vidéos, (et même une fois j'ai organisé une expo photos dans un village perdu!) Vous n’imaginez pas la joie des gens... Il n'est pas rare de voir briller des larmes dans leurs yeux (et dans les miens !) Peu importe les différences de nationalité, religion et niveau de vie, dans ces moments nous sommes tout simplement des humains qui prennent du plaisir ensemble. Il me semble qu'il serait davantage stigmatisant de ne pas s'approcher des gens différents de peur de les offenser.
C'est là que l'on met les personnes dans des cases et qu'on créé du racisme. Notre société attise la peur de l'autre, et la peur mène au racisme.
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J'ai une pensée émue, pour cette famille de sans-abri, dont le papa m'a interpelée pour que je les photographie. Il m'a remerciée comme si je lui avait offert tout l'or du monde...
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–Qu'en est-il du droit à la parole de ces locaux photographiés?
Ces blogueurs se placent en défenseurs de l'opprimé, et accusent les voyageurs d'user et d'abuser des locaux. Mais finalement ne seraient-ce pas plutôt eux qui se placent au dessus de tous et qui parlent à leur place ? Si ces gens ont accepté de poser, c'est qu'ils le souhaitaient. Ils ne sont pas stupides... non ? C'est pourtant ce que ces articles laissent entendre. Ils sont pauvres, sans défense, ils ne se rendent pas compte de ce que l'on fait de leur image, voilà ce que cela veut dire. Et c'est extrêmement méprisant ! Personne ne devrait parler pour eux, et encore moins faire de généralités, car chaque cas est particulier.
Il y a des pays où, spontanément les photos sont souvent bien accueillies. Les gens sont parfois complétement fans de photos et d'ailleurs en tant que voyageurs on passe également sous le feu des projecteurs ! J'adore ces moments, les locaux sont heureux que l'on souhaite les photographier, et je me suis même retrouvée très souvent à tirer des portraits juste pour faire plaisir (et parfois à les effacer ensuite tant j'en avais!). De la même façon, je suis plutôt honorée lorsqu'ils souhaitent garder un cliché de moi. Et je serais encore davantage ravie que mon portrait trône quelque part dans une maison ou soit partagé sur un blog.
Lorsque les réactions face à l'appareil sont plus mitigées, alors il faut être attentif, à l'écoute, et... souvent la magie opère ! J'ai énormément de portraits qui viennent d'Asie et d'Afrique et tous m'ont été offerts avec bonté. En tous cas, je suis sûre que si on rapportait à toutes ces personnes que certains conseillent de ne plus les photographier, ils seraient choqués.
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–Que serait le monde, les blogs, les livres, les reportages, sans toutes ces photos de personnes prises au quatre coin du globe ?
Imaginez....
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–Qu'en est-il de la loi ?
Parce que oui, on parle à tort et à travers, mais il existe des lois ! En France le droit à l'image est contrôlé et tout le monde le sait (par la convention Européenne des droits de l’Homme, par le Code Pénal et par l'article 9 du Code Civil). Lorsqu'on voyage c'est le droit du pays en question qui prévaut. En fait, bien souvent, rien ne stipule ce que l'on peut faire ou pas. Mais peu importe en réalité. Au final, il existe des droits qui passent au dessus du droit à l'image, et ce, même en France ! Oui oui ! Les droits de l'Homme et le droit à certaines libertés prévalent.
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*Droit à la liberté d'expression artistique :
Extrait de jugement concernant un litige sur le droit à l'image :
« les dispositions de l’article 9 du code civil -dont la demanderesse invoque explicitement l’application en page 6 de ses dernières conclusions, pour cependant ne fonder ses demandes que sur la violation de ses droits d’artiste-interprète et sur les seuls articles L. 212- 1 et suivants du code de la propriété intellectuelle et 1134 du code civil, comme le souligne la défenderesse dans ses écritures- permettent à toute personne de s’opposer à la diffusion de son image sans son autorisation, ce droit n’est cependant pas absolu et doit se concilier avec la liberté d’expression garantie par les articles 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
Le droit à l’image doit céder devant la liberté d’expression chaque fois que l’exercice du premier aurait pour effet de faire arbitrairement obstacle à la liberté de recevoir ou de communiquer des idées, sauf dans le cas d’une reproduction contraire à la dignité de la personne ou revêtant pour elle des conséquences d’une toute particulière gravité ; »
Pour résumer la diffusion de l'image d'un tiers est autorisée tant qu'elle ne lui porte pas un préjudice moral ou financier. Il est donc possible de la diffuser sur internet, dans une galerie et même de la vendre. Je précise qu'il n'y pas pas besoin d'être un photographe professionnel pour s'exprimer de manière artistique et ainsi créer une photographie unique. Évidement, si la personne vous fait savoir qu'elle ne souhaite pas que son image soit utilisée il est important de respecter son souhait (même si dans les faits il faudrait qu'elle prouve le préjudice).
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*Droit à la liberté d'information :
Il est tout à fait légal de diffuser l'image d'une personne ou plusieurs sans leur accord, et ce, même si elle porte préjudice, dans le cadre de la liberté d'information. Cependant la photographie doit avoir un lien direct avec l’actualité. Ainsi, le droit à l’image d’une personne cédera devant le droit de la liberté à l’information du public.
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« Ôtez à l'homme le bon sens, et vous le réduirez à la qualité d'automate ou d'enfant. »
Denis Diderot
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Pour conclure je dirais qu'il faut simplement faire preuve de bon sens et d'empathie (comme dans la vie de tous les jours en fait !) et surtout, par pitié, éviter les généralités !
Chaque situation, chaque personne sont différentes, alors il faut simplement être ouvert à l'autre et agir en conséquence. Suivre son instinct aussi.
Non, faire des photos dites « volées » ce n'est pas mal. Prendre une photo à l'insu d'une personne permet d'avoir une expression naturelle. Tous les grands photographes l'ont fait avant et le feront encore, car c'est parfois la seule manière de capter l'instant. En tant qu'amateur tout un chacun a ce même droit de la création. Pour autant ce n'est pas une chose à faire partout et tout le temps. Je sais par exemple qu'en Indonésie les locaux sont la plupart du temps d'accord pour être photographiés (et plutôt très demandeurs). Ainsi, je ne me pose pas de question, et j'y vais franchement sans me « cacher ». Bien souvent je suis démasquée et cela donne lieu à de grands éclats de rire. Si par malheur, pour une raison ou autre autre, cela devait être mal pris, il n'y a pas mort d'homme. On s'excuse, on supprime la photo pourquoi pas, et c'est fini. Dans d'autres pays, et si c'est plus tendu, soit je fais ça très discrètement et de loin, par exemple pour un scène de rue (je ne photographie donc pas une seule personne dans ce contexte), soit je m'approche, engage la conversation et au feeling, je vois. Souvent je suis surprise, et celui ou celle que je croyais fermé se révèle être particulièrement fier d'être mis en lumière.
Pour finir il y a l'éthique personnelle. Lorsqu'on passe à l'acte et diffuse une image il faut évidement avoir conscience de ce que l'on fait, et des répercutions que cela peut avoir ou pas.
En tout état de cause il faut que le regard du photographe reste bienveillant. Je crois que c'est le maître mot. Nous ne plaçons certainement pas tous la même signification dans cet adjectif, mais peu importe, si chacun, évolue avec conscience et bienveillance, c'est déjà très bien.
Le but de cet article n'est pas d'inciter les voyageurs à faire des portraits, mais simplement de déculpabiliser ceux qui en ressentent l'envie. Si on ne le sens pas il faut s'abstenir. Tout est question d'état d'esprit et de feeling.
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Un point que je souhaite souligner est qui a une immense importance, c'est le risque de vol et détournement d'images sur le net. Publier un de ses clichés sur un réseau social ou un blog n'est pas toujours anodin. En effet, des personnes peu scrupuleuses s'approprient des images et les utilisent à des fins personnelles. On m'a par exemple rapporté le cas d'une blogueuse qui avait retrouvé une de ses photographies d'enfant détournée pour une campagne sur la faim dans le monde. Vous allez peut être me dire que l'intention est louable, sauf que d'une part il y a un vol pur et simple, et d'autre part l'enfant en question, (qui par ailleurs ne meurt certainement pas de faim), n'a jamais souhaité être associé à ce sujet. Il peut y avoir des cas plus graves, comme l'utilisation de photographies à des fins commerciales. Il est très important de toujours ajouter un copyright avec votre nom sur les photos que vous diffusez. Ce n'est pas une garantie malheureusement, mais cela dissuade. Vous n'avez pas besoin là encore d'être un professionnel pour protéger vos images, le droit à la propriété intellectuelle et au droit d'auteur n'ont rien à voir avec le statut de la personne:
"Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, traduction, adaptation, transformation, arrangement d'une oeuvre réalisée sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit (héritiers et cessionnaires des droits d'auteur comme les éditeurs et les producteurs, sociétés de gestion des droits d'auteur) est illicite ( article L 122-4 du CPI). Le fait de mettre une oeuvre à la disposition du public via Internet nécessite impérativement l'autorisation de son auteur ou de ses ayants droits. La personne qui reproduit sans autorisation de l'auteur une oeuvre sur un serveur Internet pour mettre celle-ci à la disposition du public commet un acte de contrefaçon (articles L 335-2 et L 716-9 du CPI). La contrefaçon est un délit civil (passible de dommages-intérêts) et un délit pénal (passible d'un emprisonnement de deux ans et d'une amende de 150 000 euros). La contrefaçon couvre toutes les reproductions et diffusions illicites c'est-à-dire non autorisées."
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Pour finir, la photo est mon métier, donc ma situation est différente de celle de la plupart des gens et il est important pour moi d'agir en pleine conscience. Ainsi lorsque je réalise des portraits je crée toujours un lien avec la personne, et bien sûr elle est consentante. Il m'arrive de vendre des images ayant pour sujet un portrait. Parfois je m'arrange pour « rendre » quelque chose. Pas toujours à la personne en question (car je n'ai souvent plus aucun moyen d’entrer en contact avec) mais je peux par exemple faire un don à un association dans le pays en question, aider une famille, ou apporter mon aide pour un projet local.
Je ne gagne pas des milles et des cents avec ces photos, très loin de là, mes gains sont en général réinvestis dans d'autres projets photographiques (tirages d'expo etc)
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«Le voyageur est celui qui se donne le temps de la rencontre et de l’échange»
Fréderic Lecloux
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